Covid-19 : pourquoi l’année 2021 risque d’être celle d’un “baby crash”

21/01/2021
Franceinfo
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Depuis quelques semaines, ils arrivent. Les “bébés du confinement”, conçus à partir de la mi-mars, poussent leurs premiers cris dans les maternités françaises. De Nantes à Mulhouse, de Pontoise à Foix, un constat partagé : la nouvelle génération ne se bouscule pas au portillon. “On a eu une diminution des naissances de 7% en décembre 2020 par rapport à décembre 2019”, rapporte Cyril Huissoud, gynécologue-obstétricien au CHU de Lyon. Tendance similaire au sein du groupe privé Elsan, qui a enregistré une baisse d’activité d’environ 5% dans sa trentaine de maternités à travers le pays en fin d’année.

L’entame de 2021 est encore plus calme. Sur la première quinzaine de janvier, les accouchements ont chuté d’environ 35% au CHRU de Nancy, de 29% au CHU de Nantes et d’environ 27% au centre hospitalier de Saint-Denis par rapport à la même période en 2020. “Les prévisions des prochains mois ne sont pas terribles”, ajoute Martine Mabiala, cadre supérieure de santé à Saint-Denis, qui table sur un recul avoisinant les 22% d’ici avril.

Après ses conséquences sur la mortalité, la crise du Covid-19 va-t-elle entraîner une deuxième crise démographique ? En France, pays déjà marqué par un recul de la natalité depuis une décennie, aucune donnée nationale ne permet encore de mesurer clairement l’ampleur du phénomène. A l’échelle mondiale, le brouillard reste épais : “Nous avons encore très peu de données sur l’impact du Covid-19 sur le nombre de grossesses”, reconnaît Karoline Schmid, responsable du dossier à l’ONU. Mais les indices d’un futur “baby crash” se multiplient.

La majorité des projets d’enfant retardés ?
Voilà des mois que des chercheurs consolident, étude après étude, l’hypothèse d’un recul des naissances. “Des enquêtes sur les intentions de fécondité des couples ont été menées dans plusieurs pays avec des résultats convergents : les gens entendent souvent reporter le moment où ils feront des bébés”, résume Eva Beaujouan, démographe à l’université de Vienne, en Autriche.

Ainsi, en octobre, 37% des Italiens qui avaient prévu d’avoir ou de concevoir un enfant en 2020 ont déclaré avoir reporté ce projet, selon un rapport d’experts remis au gouvernement italien (PDF, en italien). Ils sont 21% à avoir purement et simplement abandonné l’idée. Au printemps, trois démographes italiens avaient mené une étude similaire auprès de jeunes Européens (PDF, en anglais). Parmi ceux qui avaient entamé l’année avec un éventuel “projet bébé”, 51% des Français déclaraient avoir finalement reporté l’échéance et 17% disaient y avoir renoncé.

Une telle inhibition par temps de crise n’a rien d’inédit. “Depuis des décennies, on observe que les chocs économiques dans les pays développés bouleversent le calendrier des naissances, explique Gilles Pison, chercheur associé à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Les couples reportent leurs projets d’enfants, ce qui réduit les naissances pendant environ deux ans, avant un fréquent rattrapage par la suite.”

Des millions de naissances en moins ?
S’appuyant sur les crises économiques et les pandémies du passé, deux économistes américains ont estimé que le Covid-19 allait faire chuter le nombre de naissances d’environ 8% aux Etats-Unis en 2021 – soit quelque 300 000 berceaux laissés vides par rapport à la normale, selon leur rapport mis à jour en décembre (en anglais).

Cette baisse pourrait être de l’ordre de 15% entre novembre 2020 et février 2021, d’après une publication allemande (PDF, en anglais). “Un tel recul serait supérieur de moitié à celui qui a suivi la Grande Récession de 2008-2009 et d’une ampleur équivalente aux baisses consécutives à la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919 et à la Grande Dépression des années 1930”, écrivent les trois auteurs, qui ont analysé les recherches Google aux Etats-Unis liées notamment à la grossesse.

A l’échelle mondiale, le recul de la natalité pourrait atteindre 10 à 15% en 2020 et 2021, avance le groupe bancaire HSBC. Cela signifierait une quinzaine ou une vingtaine de millions de naissances perdues, “soit un impact sur la population mondiale près de dix fois supérieur au nombre de morts” dues à la pandémie.

Moral, libido et avenir en berne

A l’échelle individuelle, comment une crise sanitaire en vient-elle à affecter les choix des couples ? “Il y a différents types d’effets, liés au virus, au confinement ou encore à la crise économique”, résume la démographe Eva Beaujouan. Même s’il a relativement peu endeuillé les jeunes adultes, le coronavirus a pu toucher certains couples désireux d’avoir des enfants et les contraindre à se soigner en priorité. Diverses études aux Etats-Unis, en Chine ou encore en Malaisie (en anglais) laissent également entrevoir de possibles effets du virus sur la fertilité masculine.

La pandémie et les restrictions sanitaires ont surtout généré des niveaux d’angoisse importants dans la population. “Le stress semble avoir affecté négativement la libido”, rapporte la chercheuse. Selon un sondage Ifop réalisé fin avril (PDF), les Français en couple ont déclaré avoir eu moins de rapports sexuels que d’ordinaire durant le confinement.

L’effet psychologique le plus durable tient sans doute au retentissement économique de la crise. “La perte d’un emploi ou la peur du chômage peut avoir une grosse influence sur la décision de fonder ou d’agrandir sa famille”, insiste la démographe. Par ailleurs, pour certains couples, le contexte mondial est devenu si sombre que l’idée même d’y faire naître des enfants a été écartée.

Des projets de grossesse ont également été contrariés, au printemps, par la fermeture des centres d’assistance médicale à la procréation. “En France, le nombre de ponctions d’ovocytes a chuté de 32% entre janvier et octobre par rapport à la même période en 2019, rapporte Claire de Vienne, chargée du dossier à l’Agence de la biomédecine. C’est du jamais-vu, cela a causé une détresse majeure parmi les patients.”

Singapour débloque une aide d’urgence

L’impact de la pandémie sur la natalité sera variable d’un pays à l’autre. “Dans des pays comme la France, qui ont une politique familiale développée et qui soutiennent massivement l’économie pendant la crise, la baisse sera sans doute moins importante que dans des pays avec un filet social plus mince, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, avance le démographe Gilles Pison, auteur d’une note sur la fécondité en Europe. Les pays qui ont une fécondité déjà basse, comme l’Italie, devraient être davantage touchés que les autres.”

L’Italie est l’un des pays les plus préoccupés par la situation. Le président, Sergio Mattarella, y a fait directement allusion dans ses vœux télévisés (en italien), le 31 décembre. “La prévision d’une nouvelle baisse des naissances est le signe de l’incertitude que le virus a instillée dans notre communauté”, a-t-il déclaré. Le démographe Alessandro Rosina, tout aussi inquiet, rappelle que l’Italie compte déjà l’un des taux de fécondité les plus faibles d’Europe (1,3 enfant par femme). Pour lui, le risque à terme est celui d'”un effondrement de l’économie et du système de protection sociale”.

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